Une décennie d'impact : mobiliser l'investissement privé pour relever les défis du développement

Hlazo Mkandawire

Les chiffres sont édifiants. Les pays en développement sont face à un déficit d'investissement qui se creuse : estimé à 4 000 milliards de dollars par an, il compromet la réalisation des 17 Objectifs de développement durable d'ici 2030. Pourtant, le volume des capitaux privés mobilisés par les banques multilatérales de développement (BMD) est resté relativement stable ces dernières années, se situant en moyenne entre 63 et 69 milliards de dollars depuis 2018.

Face à cette situation, de plus en plus de voix s'élèvent pour exhorter les BMD à mobiliser davantage de capitaux privés afin de contribuer à combler le déficit de développement dans le monde.

IFC a une solide expérience en matière de levée de capitaux privés pour investir à ses côtés dans les pays en développement. Grâce à ces résultats, le Groupe de la Banque mondiale a toujours été le plus grand contributeur à la mobilisation de capitaux privés dans les marchés émergents et les économies en développement. Et dans ce domaine, une initiative d'IFC sort du lot.

Depuis son lancement il y a dix ans, le Programme de portefeuille de prêts conjoints (MCPP) d'IFC a collecté plus de 16 milliards de dollars auprès de 17 investisseurs institutionnels et sociétés d'assurance-crédit pour soutenir les emprunteurs des marchés émergents. 

Initialement conçu pour répondre aux besoins spécifiques des investisseurs institutionnels, le MCPP est à ce jour la seule plateforme qui relie les emprunteurs des pays en développement aux investisseurs institutionnels et aux compagnies d'assurance mondiales. Il procure un soutien essentiel aux entreprises privées dans tous les secteurs, ainsi que des possibilités d'investissement à fort impact pour les partenaires du MCPP.

« La démarche du MCPP est de constituer un portefeuille diversifié de prêts de premier rang pour le compte d'investisseurs institutionnels et d'assureurs-crédit. Le principe est de faire en sorte que le portefeuille de l'investisseur MCPP se calque sur les futures opérations de prêts d'IFC », explique Anjali Varma, responsable principal des syndications, qui dirige le programme MCPP.

Son fonctionnement est simple. Dans une convention initiale avec IFC, les investisseurs et les assureurs-crédit fixent les critères d'éligibilité des projets, par exemple les pays, les secteurs, les devises et les taux sur la base desquels ils sont prêts à investir, ainsi que les limites de concentration afin de garantir une diversification suffisante. Ensuite, IFC propose aux emprunteurs un financement au titre du MCPP pour toutes les transactions qui remplissent les conditions requises, selon les mêmes modalités que le prêt d'IFC, ce qui assure aux investisseurs MCPP un accès prioritaire au vivier de projets de l'institution.

« On peut considérer le MCPP comme un fonds indiciel dont les futurs prêts d'IFC sont l'indice », ajoute Anjali Varma.

Le programme a également été conçu pour répondre aux besoins des emprunteurs d'IFC. Contrairement aux syndications traditionnelles, les emprunteurs bénéficient d'une certitude de financement à un stade précoce, de coûts de transaction et de délais de clôture réduits, et d'un accès aux prêts y compris sur des marchés et dans des secteurs difficiles.

Au 30 septembre 2023, le MCPP avait alloué environ 11 milliards de dollars à 279 projets concernant 64 pays, dont 8,5 milliards de dollars ont été engagés sous forme de prêts. On estime que 53 % de ce montant a été consacré au financement de la lutte contre le changement climatique, environ 18 % au financement de l'action pour l'égalité entre les sexes, et 35 % à des projets menés sur des marchés difficiles.

Un moyen efficace pour les investisseurs d'apporter des capitaux aux marchés émergents

L'idée de créer le MCPP est née après l'éclatement, en 2008, de la première crise financière mondiale depuis plus d'un demi-siècle. La récession qui a suivi a entraîné un recul significatif du volume des prêts bancaires, les nouveaux crédits accordés aux grands emprunteurs ayant chuté de 47 % au plus fort de la crise.

La récession économique a porté un coup très dur aux marchés émergents et aux économies en développement, en raison de la baisse des échanges commerciaux, des exportations, des envois de fonds et d'une stagnation de l'aide et des apports de capitaux.

Les budgets d'aide publique étant de plus en plus sollicités, le secteur privé, avec son envergure et ses larges ressources, est apparu comme un partenaire essentiel pour soutenir les prêts au développement.

En conséquence, IFC a commencé à chercher des moyens de diversifier les financements possibles pour ses emprunteurs. L'une des solutions a été la création d'un produit conçu pour limiter les barrières à l'entrée qui empêchaient souvent les acteurs institutionnels d'investir dans les prêts aux marchés émergents, en particulier le manque de données pour établir la répartition des actifs, les coûts de transaction élevés liés au montage et au suivi des prêts, et une diversification insuffisante pour réduire les risques.

Le MCPP permet aux investisseurs de profiter de l'expérience de plus de 60 ans d'IFC et de ses résultats en matière de prêts sur les marchés émergents. En s'appuyant sur les équipes d'investissement et les spécialistes d'IFC à travers le monde pour initier et superviser les prêts, la plateforme réduit les coûts de transaction. Le MCPP facilite aussi une diversification du portefeuille entre les pays et les secteurs, ce qui réduit considérablement le risque pour l'investisseur. 

Pour répondre aux besoins particuliers des différents types d'investisseurs, le programme a mis sur pied différentes modalités juridiques de participation aux portefeuilles de prêts. Elles vont de l'utilisation des fonds fiduciaires d'IFC et de la modification de ses prêts B, à la participation non financée au moyen de l'assurance-crédit et des participations aux risques. IFC a également permis un rehaussement de crédit pour couvrir les premières pertes grâce à des partenariats avec des bailleurs de fonds destinés à aider les investisseurs soumis à des contraintes pour investir dans des portefeuilles considérés comme étant de second ordre. 

Le succès du MCPP se poursuit au travers de ses deux dernières initiatives. D'une part, l'initiative MCPP One Planet a été conçue pour mobiliser des capitaux institutionnels afin de soutenir les tout premiers portefeuilles de prêts aux marchés émergents alignés sur l'accord de Paris. Dans le cadre de cette initiative, IFC produit des analyses d'impact approfondies et des rapports environnementaux, sociaux et de gouvernance d'entreprise (ESG) pour permettre aux investisseurs de démontrer l'impact de leurs portefeuilles sur le développement et de se conformer aux nouvelles réglementations telles que le règlement de l'Union européenne sur la divulgation des informations relatives à la finance durable.

D'autre part, la troisième version du MCPP pour les institutions financières vise à renforcer l'attrait pour le crédit du secteur de l'assurance, afin de stimuler les prêts en faveur de l'inclusion financière, des petites et moyennes entreprises, des entreprises détenues par des femmes et du financement de la lutte contre le changement climatique. Cette version s'appuie sur deux mécanismes antérieurs lancés en 2017 et 2020 pour accroître les prêts d'IFC aux institutions financières dans certains des pays les plus pauvres et les plus fragiles du monde.

Impact du MCPP sur le développement des marchés émergents

Au cours de la dernière décennie, le MCPP a apporté un soutien majeur à un large éventail de projets couvrant divers sous-secteurs dans les champs des infrastructures, des institutions financières, de l’industrie manufacturière, de l’agro-industrie ou encore de l’éducation et de la santé, dans toutes les régions où IFC investit.

En ce qui concerne les 8,5 milliards de dollars de prêts engagés au 30 septembre 2023, IFC a recueilli des données — publiées dans notre enquête annuelle auprès des clients — qui démontrent l'impact des financements MCPP, conjugués aux programmes de conseil et de financements pour compte propre d’IFC.

Ces investissements ont créé en moyenne 175 457 emplois par an depuis 2014, dont 74 265 pour les femmes. Rien que dans le domaine de la santé, les clients d'IFC ont déclaré avoir pris en charge plus de deux millions de patients. Ils ont également raccordé plus de 44 millions de clients à des lignes téléphoniques et aidé 207 626 agriculteurs par an. Dans le secteur de l'énergie, plus de 8 248 GWh d'électricité ont été produits pour plus de cinq millions de clients chaque année.

Les investissements ont également profité aux communautés locales, les clients d'IFC ayant déclaré avoir dépensé plus de 4,5 milliards de dollars en achats auprès de fournisseurs nationaux et versé plus de 1,3 milliard de dollars aux gouvernements. Les communautés locales ont ainsi reçu en moyenne plus de cinq millions de dollars pour soutenir leur développement.

Le programme est aussi intervenu pour soutenir des projets qui s'attaquent aux disparités entre les sexes et favorisent l'inclusion. Depuis 2015, les clients d'IFC ont déclaré avoir accordé chaque année plus d'un million de prêts de microfinance à des entreprises détenues par des femmes, pour un volume annuel moyen de plus de 1,1 milliard de dollars, ainsi que 139 218 prêts aux PME chaque année à des entreprises féminines, pour un volume annuel moyen excédant 4 milliards de dollars.

Les projets engagés au titre du MCPP devraient permettre de réduire chaque année les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'environ 20,6 millions de tonnes d'équivalent CO₂. Cela équivaut aux émissions d'un véhicule de tourisme moyen à essence parcourant 85 milliards de kilomètres.

À l'avenir, le MCPP a l'ambition de s'étendre à d'autres types d'investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension, et de diversifier son offre pour inclure des financements en monnaie locale. La plateforme est actuellement en train de lever des fonds pour élargir son pool d'investisseurs, d'assureurs et d'autres participants afin de mobiliser de plus grandes quantités de capitaux privés.

« Le MCPP n'est jamais une offre de produit figée », explique Anjali Varma, d'IFC. « Nous recherchons toujours le moyen de surmonter les prochains obstacles — ce qui pourrait élargir la gamme de types de prêts financés ou attirer d'autres types de partenaires — ou de répondre aux prochaines réglementations régissant nos investisseurs. »